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L'ARMORIAL GENERAL DE 1696, et son application en Franche-Comté

"L'ARMORIAL GENERAL DE 1696, et son application en Franche-Comté" de Nicolas Vernot.
1696, 2003, 21 x 29,7cm, 320 pages, 49 €
L'Armorial général de 1696 est un des documents les plus consultés de la Bibliothèque Nationale. Paradoxalement, c'est également un des plus méconnus. En effet, la complexité de son organisation interne et les jugements lapidaires portés parfois sur cette entreprise ont détourné nombre de chercheurs de cette source pourtant hors du commun. Avec ses quelques 120 000 enregistrements, l'Armorial général mérite tout l'intérêt du généalogiste, de l'historien et de tout curieux de la société d'Ancien Régime. Conscientes de ces enjeux, les éditions Mémoire & Documents proposent aujourd'hui l'édition du travail universitaire de Nicolas Vernot, l'Armorial général de 1696 et son application en Franche-Comté. Cette étude cherche à mettre fin à un certain nombre de préjugés traditionnellement attachés à l'Armorial général et s'attache à répondre aux questions les plus souvent formulées par tous ceux qui ont eu un jour affaire à cet ouvrage.
Table des noms cités. Epuisé


(Extraits)

L'édit de novembre 1696 marque un tournant dans la législation du royaume. Jusqu'alors, la capacité heraldique était universelle. En effet, l'usage des armoiries s'étendait au?delà des couches nobles de la société : dans les villes, les bourgeois aisés se dotent fréquemment d'écus. Toutefois, ces emblèmes restent fortement associés à l'imaginaire nobiliaire. Nés sur les champs de batailles ou s'affrontèrent les barons et les princes, ils proclament l'honneur de la famille et mettent en scène le pouvoir du seigneur dans les lieux publics. C'est parce qu'ils sont ennoblissants qu'ils connaissant le succès auprès des deux autres ordres.

Partout en Europe, l'heraldique est confrontée à l'époque moderne à des courants idéologiques de plus en plus radicaux visant à en limiter l'usage. En France, le second ordre obtient que le port du cimier lui soit réservé. Parmi les restrictions théoriques opérées par des érudits, l'une voudrait qu'il n'y ait d'armoiries véritables que concédées par le roi. Ainsi l'heraldique n'échappe pas aux développements des idéaux absolutistes : l'édit de 1696 en est une émanation directe.

En France comme en terre d'Empire, les tentatives de régulation du port des armoiries par l'Etat étaient jusqu'à présent quasiment restées lettre morte, faute de réels moyens d'application. Pour la première fois en 1696, des dispositions concrètes vont permettre la rédaction d'un monumental Armorial général de France. Il demeure à ce jour le seul recueil heraldique officiel du pays. Mais seuls les besoins financiers de l'Etat expliquent que cette gigantesque entreprise ait pu être menée à son terme.

En dépit d'un préambule ambitieux prétendant mettre fin à une situation désordonnée, l'Edit est en effet et avant tout un impôt sur les armoiries. D'ailleurs, le barème appliqué aux différents corps et communautés n'est pas sans rappeler dans son principe le tarif de la capitation. Les textes législatifs qui viennent le compléter au fil des mois confirment de manière de plus en plus agressive la prépondérance du financier sur l'heraldique. La situation catastrophique des caisses royales et l'appât du gain qui anime Vanier et ses commis sont la source de multiples abus. L'instauration de rôles d'assujettis d'office en est la manifestation la plus marquante, l'Edit devient le prétexte aux extorsions les plus éhontées. Mais cet aspect coercitif ne doit pas occulter l'intense activité heraldique déployée sur plusieurs années.

Contrairement à ce qui a été dit, les informations contenues dans les registres de l'Armorial général sont loin d'être méprisables. Les descriptions consignées sont un précieux témoignage des contradictions qui traversent la langue du blason sous le règne de Louis XIV. Leur imperfection trahit les hésitations de l'époque: les érudits ne s'accordent pas toujours entre eux, et le grand Palliot lui?même manque parfois de cohérence. Aussi n'est?il pas surprenant de voir certains commis affectionner les redondances, et d'autres leur préférer la concision.

Datés et localisés, les enregistrements d'armoiries permettent de connaître le fonctionnement des bureaux d'enregistrements comtois. Leur durée de vie est inégale, mais le resserrement de l'étreinte fiscale s'observe partout. Vanier cherche à rentrer dans ses frais, tandis que le pouvoir royal espère sans doute réaliser des bénéfices, une fois atteints les sept millions de livres pour lesquels l'Edit a été affermé. Tout comme la mise en place de rôles supplémentaires d'assujettis qui se contentent de payer sans pouvoir fournir de description, l'attribution d'écus composés mécaniquement pousse l'application de l'Edit aux limites de l'absurde. Il y a longtemps que l'heraldique n'est plus qu'un prétexte.

D'ailleurs, aucun des offices créé par l'Edit tant à Paris que dans les provinces pour enregistrer les armoiries et en contrôler la légalité ne trouve acquéreur. La porte est ouverte aux usurpations, que les contraintes financières de l'Etat conduisent à tolérer. Une fois reçues à Paris, les déclarations sont enregistrées sans aucune vérification. Afin d'attribuer des armoiries, les commis de d'Hozier n'ont que peu d'éléments. Pour la Franche?Comté, ils font preuve d'une relative conscience professionnelle, qui tranche avec certaines créations attribuées dans d'autres régions. En revanche, le recours au traité de Pierre Palliot ajoute des usurpations à celles que l'octroi d'armes peu originales avait déjà créé.

L'édit de 1696 est-il parvenu à ses fins ? Les objectifs officieux de sa promulgation ne sont atteints qu'au prix d'une importante coercition. Pousser des particuliers à acheter des armoiries dont beaucoup ne veulent pas n'est guère possible sans une contrainte des plus autoritaires, que les intendants ont le plus grand mal à tempérer. Mais force est de reconnaître que sans cette dimension fiscale, les buts officiels n'auraient jamais pu être atteints. Le besoin d'argent est à l'origine de la rédaction de l'Armorial. Certes, la prépondérance du financier sur l'heraldique entraîne de nombreux abus, et rend tout contrôle impossible. Mais sans elle, le " dépôt public des armes et blasons " n'aurait sans doute jamais vu le jour.

Or cet impôt nouveau a quand même permis l'enregistrement de plus d'un millier d'armoiries comtoises portées sous le règne de Louis XIV. Peu de particuliers semblent réussir à échapper à la vigilance des commis. En outre, bien que les imperfections soient inévitables dans une entreprise d'une telle ampleur, les descriptions paraissent rarement erronées. L'ensemble des informations contenues dans l'Armorial constitue une source fiable et irremplaçable pour connaître l'heraldique et ses liens avec la société d'Ancien Régime.

Pour l'Etat, les armoiries constituent un indice d'aisance évident. Un an après la capitation, il cherche quels sont ses sujets encore capables de s'acquitter d'une taxe supplémentaire de vingt livres. Parce que l'usage de l'heraldique est la marque d'une certaine réussite sociale, les Comtois les plus en vue s'exécutent de bonne grâce aux exigences du nouveau souverain de la province. Chercher à se soustraire à l'impôt serait peu diplomatique pour tous ceux qui doivent au Roi Soleil leur position privilégiée, comme les Parlementaires ou, plus généralement, la ville de Besançon. En outre, certains bourgeois?gentilshommes sont trop heureux de s'acquitter à bon compte d'une lettre d'armoiries émanant du pouvoir royal.

Mais cet enthousiasme est loin d'être général. Seule la moitié des Comtois assujettis déclare un écu. Dans certains bailliages, le taux de fréquentation des bureaux est encore plus bas, ne dépassant pas 10 % à Saint?Claude. Parmi les particuliers inscrits autoritairement, certains avaient cherché le plus longtemps possible à échapper aux commis, avant d'être finalement rattrapés par la rédaction des rôles successifs.

Néanmoins, nombre de ceux qui se trouvent désormais sur les listes n'ont jamais eu recours à l'heraldique auparavant. Ils s'estiment sans doute de condition trop humble pour utiliser un emblème qui ne leur servirait à rien. Même si les réfractaires appartiennent essentiellement aux couches les plus modestes englobées par les commis, le désintérêt pour la déclaration d'armoiries touche des particuliers de condition relativement différente. Ce caractère hétérogène montre que pour beaucoup, le vernis heraldique de l'Edit masque bien mal sa véritable nature fiscale. Une fois l'argent encaissé, chacun fait à nouveau ce qu'il veut.

En effet, l'étude de l'Armorial montre que sous l'Ancien Régime, l'heraldique demeure souple et très sensible aux modes. Ainsi, le conservatisme thématique est nuancé par la faculté d'adaptation des compositions armoriales. Mais en dépit de cette apparente fantaisie, l'heraldique demeure très sérieuse. Sa fonction est de valoriser le possesseur de l'écu. L'étude des émaux et des meubles du blason montre que les choix sont opérés dans un but permanent d'ennoblissement. L'univers du second ordre constitue la plus importante source d'inspiration.

Les compositions du règne de Louis XIV ne cherchent pas à surprendre. Le choix des émaux est relativement conventionnel. L'utilisation de pièces honorables et le goût de la symétrie confère aux créations une impression de stabilité. Les caractéristiques de l'heraldique comtoise confirment l'appartenance à la culture française de la province. Toutefois, il serait souhaitable que des études quantitatives analogues soient menées dans d'autres régions. Elles permettraient sans doute de faire apparaître des nuances dans la sensibilité armoriale.

La cohérence des conclusions obtenues confirme la fiabilité des informations contenues dans l'Armorial. A cette époque, les choix qui déterminent les allusions patronymiques, professionnelles, politiques ou familiales sont constamment dictés par un souci de valorisation. Le silence quasi systématique entourant la condition roturière des bourgeois parle tout autant qu'un écartelé prestigieux. L'ennoblissement de l'individu est (devenu ?) la raison d'être de l'heraldique du Grand Siècle.

Au-delà des ambitions personnelles, les armoiries peuvent exprimer un réseau parfois complexe de solidarités. Leur transmission généralement héréditaire fait rejaillir sur l'individu la notoriété de son ascendance. Par le jeu des combinaisons, les alliances les plus prestigieuses sont portées à la connaissance de tous. De même, l'allégeance, ancienne ou persistante, due aux Habsbourg apparaît sur plusieurs écus.

Toutefois, l'Armorial est loin d'avoir livré tous ses secrets. L'influence des marques de maison sur l'heraldique comtoise pourrait être mieux connue si d'autres régions étaient examinées et si l'étude globale de l'emblématique des artisans, paysans et marchands français était enfin entreprise. Dans ce domaine, presque tout reste à faire. De même, les hypothèses émises à propos des groupes heraldiques apparus à l'époque moderne nécessitent d'être étayées par une étude des liens sociaux unissant les particuliers à l'origine de ces similitudes.

L'heraldique cristallise les aspirations d'une partie de la société. L'étude détaillée des particuliers assujettis à l'impôt et de leur réaction face à l'Armorial permettrait de connaître avec beaucoup de précision l'attitude des Comtois face au phénomène heraldique. Les armoiries étaient jusqu'alors adoptées par ceux qui avaient conscience d'appartenir à une élite, ou qui cherchaient à s'y intégrer en usant d'un de ses signes distinctifs.

L'instauration de rôles provoque l'incompréhension de ceux qui se découvrent contraints de déclarer des emblèmes dont il n'ont jamais fait usage parce que cette pratique ne correspond pas à leur condition telle qu'ils la perçoivent. Pour d'autres, la possession d'armoiries ne justifie pas le versement de vingt livres. Que les motivations de leur refus soient sociales, financières, ou même politiques, elles ne peuvent être véritablement connues que si l'Armorial est confronté à d'autres sources, et notamment aux rôles de la capitation. Enfin, la connaissance des sources utilisées pour rédiger les listes d'imposés permettrait de rendre compte des lacunes et des différences de traitement d'un bailliage à l'autre.

On le voit, l'heraldique mérite bien plus qu'une mention furtive en fin de notice genealogique. L'Armorial général a démontré que les informations qu'il contient sont tout à fait exploitables, et que ses imperfections sont de précieux témoignage de l'activité humaine à son origine, qu'elle soit administrative, fiscale ou heraldique. En reflétant de manière plus ou moins consciente l'image que les individus veulent donner d'eux-mêmes ainsi que les aspirations qui les animent, l'heraldique constitue une source aussi originale que précieuse pour aborder l'histoire des mentalités.

Enfin, il n'est ni vain ni absurde d'associer heraldique et noblesse. Si l'Armorial réaffirme avec force que les armes ne sont pas un privilège du second ordre, il montre aussi qu'elles doivent à la noblesse son succès et sa thématique. Dès lors, la décision de l'Assemblée constituante d'en abolir l'usage en même temps que la noblesse et les titres en 1790 n'apparaît plus comme une bizarrerie de l'Histoire, mais bien comme la conséquence d'une association permanente dans les représentations collectives.

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